jeudi 25 décembre 2014

La trêve de Noël

La trêve de Noël en 1914 n'est pas une légende. Alors que sur une grande partie du front, les combats continuaient à faire rage, des Hommes, Français,  Bavarois, officiers et soldats, fraternisèrent durant plusieurs heures. Ces hommes qui étaient  pour la plupart des maris et pères de famille, échangèrent ce qu'ils avaient, cigarettes, journaux, petits souvenirs...... Déjà ils voyaient l'absurdité de cette guerre et rêvaient à la paix.
Ils devaient néanmoins faire leur devoir.

J'ai choisi un extrait du Carnet du Caporal Louis BARTHAS, pour raconter cette rencontre, entre frères ennemis


« Le 26.12.14 Mes chers Parents,

 Encore 36 heures de tranchées de faites, mais celles-ci se sont passées dans des conditions particulières que je vais vous raconter.
Nous étions cette fois à 25 m des tranchées allemandes, que nous distinguions très nettement. Ceux que nous relevions nous dirent: depuis 36 heures que nous sommes là ils n'ont pas tiré un seul coup de fusil pour ne pas être ennuyés par une fusillade inutile. C'était sensément un accord  entre nous et eux

 Dans la journée, j'avais entendu dire qu'ils nous avaient causé, échangé des journaux, des cigarettes même. Je ne voulais le croire tant que je n'en aurais pas eu la preuve par moi-même.

 Au jour, je risque vivement un œil par dessus la tranchée, enhardi par le calme qui régnait des 2 côtés. Je recommence à regarder plus atten­tivement. A mon grand étonnement, j'aperçois un Bavarois (car ce sont eux qui étaient en face de nous) sortir de sa tranchée, aller au devant d'un des nôtres qui lui aussi avait quitté la sienne et échanger des journaux et une solide poignée de main. Le fait se renouvela plusieurs fois dans le courant du jour. Un Alsacien qui se trouvait près de nous échangea avec eux une courte conversation par laquelle les Bavarois lui apprirent  qu'ils ne voulaient plus tirer un coup de fusil, qu'ils étaient toujours en première ligne et qu'ils en avaient assez. Ils nous ont prévenus qu'ils seraient bientôt relevés par les Prussiens et qu'alors il faudrait faire bien atten­tion, mais qu'avec eux il n'y avait rien à craindre. En effet, ça fait 4 ,jours qu'à 25 m l'un de l'autre il ne s'est pas échangé un seul coup de fusil.
Nous étions amis des 2 côtés, bien sincères, et quand notre artillerie tirait sur leur ligne nous étions ennuyés pour eux et s'il avait fallu aller à l'assaut de leurs tranchées, je ne sais pas ce qui se serait passé.

 Dans la dernière attaque que nous avions faite, une vingtaine de nos morts sont restés, à quelques pas de leurs tranchées. Très poliment, un officier nous invita à aller les chercher, et que nous pouvions être certains. Nous avons refusé ... Ils ont soigné nos blessés sans les faire prisonniers, l'un d'eux fut soigné pendant 5 jours. Vers le soir, c'était le 24, un Bavarois remit une lettre que notre Capitaine conserve précieuse­ment, elle était conçue ainsi, autant que je m'en rappelle: "Chers Camarades, c'est demain Noël, nous voulons la paix. Vous n'êtes pas nos ennemis. Ils sont de l'autre côté (probablement les Anglais). Nous admirons la grande Nation Française. Vive la France, bien des salutations. Signé: les Bavarois dits les Barbares"
 Juges...
La nuit vient interrompre nos échanges amicaux et minuit approche.
Tout à coup, tout près de nous on entend chanter au son de flûtes et d'un har­monium. C'étaient les Bavarois qui fêtaient Noël. Quelle impression ! D'un côté des chants religieux, de l'autre la fusillade, et tout ça sous un beau clair de lune en pleins champs, tout recouverts de neige. Quand ils eurent fini nous poussâmes des hourrah, hourrah ...
A notre tour, le Capitaine le 1er, nous entonnâmes d'une seule voix: Minuit Chrétien, puis il est né le Divin Enfant. Ils nous écoutèrent, puis eux poussèrent des applaudissements et des bravos. Enfin,  trois qui savaient très bien l'Allemand chantèrent deux cantiques en chœur avec les Bavarois.
On m'aurait raconté cela je ne l'aurais pas cru, mais les faits sont là et ils se produisent un peu partout, mais mal­heureusement, ne serviront à rien.[…]|   
         
….Cette lettre vous parviendra peut être l'année prochaine, dans cette circonstance je m'empresse de vous offrir mes meilleurs vœux pour 1915. J'espère que cette 'année reconstituera tout ce que 1914 a détruit, bonheur, foyers et espérances, et qu'elle appor­te la paix, le travail et la récompense tant méritée par les sacri­fices que cette guerre nous a forcés à faire.


Merci encore de toutes vos bontés. Recevez, mes chers Parents, mes meilleurs vœux de bonheur et de santé pour la nouvelle année et mes plus sincères baisers[…].
Votre fils qui vous aime. »


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Louis BARTHAS (1879-1952), Carnets de guerre de Louis BARTHAS, tonnelier, 1914-1918, Paris, François MASPERO, 1978, p. 357.  
Illustration : Est Républicain, 24 décembre 2014

           

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